La femme pécheresse
Celle qui a beaucoup aimé

Mais au fait, quelle pourrait être l’histoire de cette femme? Pourquoi venir interrompre le repas de ces gens religieux et poser de tels gestes envers Jésus?

Un pharisien invita Jésus à manger avec lui. Jésus entra dans la maison du pharisien et se mit à table. Une femme pécheresse qui se trouvait dans la ville apprit qu'il était à table dans la maison du pharisien. Elle apporta un vase plein de parfum et se tint derrière, aux pieds de Jésus. Elle pleurait, et bientôt elle lui mouilla les pieds de ses larmes, puis les essuya avec ses cheveux, les embrassa et versa le parfum sur eux. Quand le pharisien qui avait invité Jésus vit cela, il se dit en lui-même: « Si cet homme était prophète, il saurait qui est celle qui le touche et de quel genre de femme il s'agit, il saurait que c'est une pécheresse. »

Jésus prit la parole et lui dit: « Simon, j'ai quelque chose à te dire. » « Maître, parle », répondit-il. « Un créancier avait deux débiteurs: l'un d’eux lui devait 500 pièces d’argent, et l'autre 50. Comme ils n'avaient pas de quoi le rembourser, il leur remit à tous deux leur dette. Lequel des deux l'aimera le plus? » Simon répondit: « Celui, je pense, auquel il a remis la plus grosse somme. » Jésus lui dit: « Tu as bien jugé. » Puis il se tourna vers la femme et dit à Simon: « Tu vois cette femme? Je suis entré dans ta maison et tu ne m'as pas donné d'eau pour me laver les pieds; mais elle, elle les a mouillés de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m'as pas donné de baiser; mais elle, depuis que je suis entré, elle n'a pas cessé de m'embrasser les pieds. Tu n'as pas versé d'huile sur ma tête; mais elle, elle a versé du parfum sur mes pieds. C'est pourquoi je te le dis, ses nombreux péchés ont été pardonnés, puisqu'elle a beaucoup aimé. Mais celui à qui l'on pardonne peu aime peu. »

Et il dit à la femme: « Tes péchés sont pardonnés. » Les invités se mirent à dire en eux-mêmes: « Qui est cet homme qui pardonne même les péchés? » Mais Jésus dit à la femme: « Ta foi t'a sauvée. Pars dans la paix! »

Luc 7, 36 à 50

* * *

Vous seriez bien étonnés si je vous disais mon nom...

Ça fait plus de 15 ans maintenant qu’ils m’ont reniée. Je suis leur honte, leur déshonneur; je suis le mouton noir dont ils aimeraient se débarrasser.

Mon père est l’un des riches marchands de la ville; c’est un personnage influent, connu et respecté de tous; il s’assied à l’une des places d’honneur à la synagogue. Ma famille est l’une des plus prestigieuses de la région et... et je ne vais pas vous en dire plus.

De toute façon, même si vous alliez leur parler, ils vous diraient qu’ils ne me connaissent pas. Ça fait plus de 15 ans maintenant qu’ils m’ont reniée.

Je suis leur honte, leur déshonneur; je suis le mouton noir dont ils aimeraient se débarrasser.

* * *

Tout avait bien commencé, pourtant... trop bien peut-être...

Depuis tout enfant, j’étais cette « petite magnifique fille à la belle chevelure bouclée ». Celle que tout le monde aimait, celle qui attirait les regards et l’attention, celle que tout le monde voulait prendre sur ses genoux...

Elle soupire tristement.

J’ai grandi comme une charmante petite fille modèle, gentille avec tout le monde et avec qui tout le monde était gentil... n’imaginant pas... ne soupçonnant pas le mal et la pourriture qui peuvent se glisser, prendre racine et contrôler complètement le coeur et la vie, même des gens les plus respectables.

Elle s’arrête un instant.

Et puis, ce soir-là, tout a basculé. C’était peu après ma bat-mitzvah. J’étais si jeune encore.

Un ami de mon père, un membre éminent du parti des pharisiens...

Sa voix se brise, les larmes montent dans ses yeux.

Il a abusé de moi... il m’a violée...

Elle sanglote.

Je crois pouvoir encore sentir ses bras qui m’enserrent alors que je tente vainement de me débattre pour m’échapper. Je peux ressentir encore aujourd’hui le dégoût pour le geste abject qu’il a posé contre moi et la honte alors qu’il s’enfuit après son crime en me menaçant: « N’en parle à personne, sale petite délurée, tentatrice, pécheresse! »

Long silence.

Pécheresse... déjà... ce mot qui me colle à la peau depuis tant d’années.

Maudit soit ce jour où ma vie a basculé dans le cauchemar!

Maudit soit cet homme, qui a détruit ma vie!

Maudit soit le jour de ma naissance: pour mon existence de misère, il eut mieux valu que je ne sois jamais née.

Oh, il est revenu.... plusieurs fois... tant de fois... trop de fois!

J’étais terrorisée, je craignais les banquets et les fêtes que mon père organisait. Pour la petite fille modèle, c’étaient des occasions de réjouissance, des occasions de célébrer le Dieu d’Israël, de se rappeler des grandes oeuvres qu’Il a accomplies en faveur de notre peuple par le passé... et de nous encourager à attendre son action pour aujourd’hui ou pour demain.

Ces fêtes, cette religion, n’étaient maintenant pour moi que terreur. Je ne dormais pas durant des nuits d’angoisse: est-ce qu’il serait là? Est-ce qu’il y avait un moyen de lui échapper? Est-ce qu’il y a quelqu’un à qui je pourrais confier mon terrible secret?

En public, il était très gentil avec moi. C’était quelqu’un de très respecté et de très populaire... Mon père était tellement fier qu’il soit un ami de la famille. Il ne manquait jamais une occasion de l’inviter et de vanter ses mérites lorsqu’il n’était pas là.

Moi seule connaissais le mal, la pourriture qui habitait cet homme. Il ne manquait pas une occasion d’abuser de moi, de violer mon corps et mon âme, d’arracher petit à petit, morceau par morceau, mon coeur à l’intérieur de moi.

J’étais devenue renfermée, craintive. Il y avait en moi des accès de colère et de violence que je ne connaissais pas avant. Je me souviens d’avoir frappé (et tué) un chaton qui ne faisait rien d’autre que passer par là: sa beauté, son innocence m’étaient insupportables...

Mais cette colère et cette violence étaient surtout dirigées contre moi-même. Combien de nuits ai-je passées réveillée, à pleurer et à souhaiter mourir? Si la loi ne l’interdisait pas, je me serais sans doute tuée moi-même.

Les gens voyaient ces changements en moi, bien sûr. Mon père lui-même a pris un jour le temps de parler avec moi:

« Je ne reconnais plus mon enfant... qu’est-ce qu’il t’arrive? »

J’ai essayé de lui expliquer que cet homme, son ami, il était mauvais, méchant avec moi, qu’il me faisait subir des choses sales, dégoutantes... que je ne voulais pas... Je bredouillais, je bafouillais... comment expliquer une telle situation à mon propre père?

N’est-ce pas le rôle de Dieu, justement, de prendre soin des pauvres, des étrangers, des défavorisés... bref, des victimes? Et là, Dieu est du côté de mon agresseur.

Il m’a interrompu:

« Cet homme est un membre respecté de notre communauté, un pharisien irréprochable devant les hommes et devant Dieu, un de mes plus proches amis. Il fait preuve de beaucoup de bonté pour toi: tu ferais mieux d’être reconnaissante envers lui plutôt que de l’accuser faussement de je ne sais quoi. Ma fille, ton attitude nous peine beaucoup, ta mère et moi... »

Je suis partie en courant, les larmes aux yeux.

Cette nuit-là, je n’ai pas dormi une fois de plus. Si mon propre père réagissait comme cela, il n’y avait personne à qui je pouvais me confier. Personne ne pourrait comprendre ma situation. Personne ne pourrait prendre ma défense et me faire justice.

N’est-ce pas le rôle de Dieu, justement, de prendre soin des pauvres, des étrangers, des défavorisés... bref, des victimes?

Et là, Dieu est du côté de mon agresseur.

* * *

Les mois ont passé, les abus ont continué... petit à petit, je me suis résignée et j’ai accepté l’inacceptable.

Je lui donnais ce qu’il voulait, pourvu que ça finisse vite. Puis j’allais vomir mon dégoût et prendre un bain dans l’espoir inutile de laver la souillure qui se répandait toujours plus dans mon âme. Peut-être qu’après tout, il avait raison: c’était moi la pécheresse.

Elle était loin, très loin, la petite fille aux cheveux bouclés.

L’atmosphère à la maison était devenue irrespirable. Mon père et ma mère m’accablaient de reproches... les disputes ne cessaient jamais, la violence en moi se déversait sur eux, souvent sans aucune raison. Les pauvres, ils ne pouvaient pas comprendre.

Et puis, un jour, n’y tenant plus, j’ai décidé de partir. Sans prévenir personne, je me suis enfuie, au milieu d’une autre nuit d’insomnie et d’angoisse.

De la maison de mon père, je n’ai rien emporté avec moi, sauf... une petite fiole de parfum que j’avais reçue pour ma bat-mitzvah. Mon père me l’avait donnée en me disant qu’elle était réservée pour ma nuit de noces, pour me parfumer et célébrer le début de la vie commune avec le compagnon qui allait partager mes joies et mes peines durant ma vie entière.

Un beau symbole... que j’ai emporté avec moi dans l’espoir que, en échappant à mon agresseur, j’allais pouvoir reconstruire ma vie et, qui sait? trouver un homme qui mériterait que je brise pour lui cette fiole... que je me parfume pour lui...

Un temps de silence.

Hélas, les choses n’ont fait qu’empirer... Peut-être que mon désespoir attirait les opportunistes... Peut-être que les hommes se parlent entre eux... Toujours est-il que j’ai été abusée encore et encore, espérant toujours et vainement que la prochaine relation serait la bonne.

Je ne veux ni vous raconter les détails, ni même m’en souvenir... si cela était possible.

Elle regarde fixement le sol devant elle.

Toujours est-il que j’en suis arrivée là: prostituée.

Vendant mon corps pour payer mon pain.

Essayant d’attirer le client, pour me faire rejeter juste après, comme un objet dont on s’est trop vite lassé.

Un sourire enjôleur sur le visage, pour cacher la douleur de mon coeur déchiré.

Traînant avec moi cette réputation de femme pécheresse marquée sur mes habits, sur mon corps, au plus profond de mon âme.

Combien de nuits ai-je passées à pleurer ma misère. Combien de fois suis-je allée à la vallée du Hinnom, là où l’on jette et brûle les ordures, avec le projet de briser ma fiole de parfum et de me tuer pour en finir une fois pour toutes?

Combien de fois ai-je crié au Dieu d’Israël: où es-tu, toi qui prends soin de la veuve et de l’orphelin?

* * *

Et puis, un jour, j’ai appris que Jésus était en ville.

C’était un personnage connu: on disait de lui qu’il était un prophète qui accomplissait des actes miraculeux: des malades étaient guéris, des lépreux étaient purifiés... il paraît même que des morts avaient ressuscité.

On disait aussi qu’il enseignait de manière extraordinaire: qu’il ne faisait pas de favoritisme et que les gens religieux étaient souvent choqués par ses paroles... auxquelles ils ne trouvaient pourtant rien à répondre.

Mais surtout, surtout.... on disait de lui qu’il était l’ami des pécheurs: qu’il n’hésitait pas à s’associer, et même à manger avec les collecteurs d’impôts et les gens de mauvaise vie.

Alors, j’ai décidé d’aller le voir... enfin, surtout de voir si c’était vrai, cette histoire d’ami des pécheurs. S’il y avait un homme dans la ville qui pouvait me regarder une seule fois autrement que comme une femme pécheresse...

Jésus était chez Simon, le pharisien.

Quand je suis arrivée là, j’ai eu l’impression de me retrouver chez mon père: le repas avait lieu dans la cour devant la maison, ombragée par un grand pin. Le soleil brillait sans que la chaleur ne soit insupportable. Un peu de vent rafraichissant soufflait de la mer. Les oiseaux chantaient dans les arbres, comme une réponse aux conversations des humains.

Les lits sur lesquels étaient installés les convives étaient disposés en cercle. Simon, l’hôte, était installé à la place centrale. Ses deux invités d’honneur à sa droite et à sa gauche. Je me suis souvenue des histoires sans fin que provoquaient le choix de ces deux invités d’honneur dans les banquets qu’offrait mon père... et je me suis demandée si les convives de Simon étaient aussi jaloux les uns des autres, en particulier de ceux qui avaient les places d’honneur.

Et puis, il y avait toute cette bouffe sur la table: de l’agneau délicatement grillé qui sentait si bon, des légumes, du poisson, des paniers de fruits frais, des coupes de vin qui ne désemplissaient pas... et du pain, du pain frais, encore chaud, dont, enfant, j’aimais tant l’odeur.

Il y avait aussi évidemment le public, les spectateurs; tous ces gens massés autour de la propriété de Simon, qui étaient là pour écouter, et même commenter, les paroles des convives. Bien sûr, il n’était pas question de toucher à la bouffe, mais nous formions une partie intégrale du banquet, ou peut-être, faudrait-il dire, de la scène qui se déroulait sous nos yeux.

Je me suis approchée avec les autres... oh, je suis tellement habituée à ce mouvement de recul provoqué par ma présence que je n’y ai même pas prêté attention. J’ai regardé les convives... et le souffle m’a manqué. Il était là! Mon agresseur! Celui qui a fait basculer ma vie dans le cauchemar. En un instant, la honte, la peur, la terreur même et le dégoût m’ont envahie. Toute la noirceur et la pourriture de ma vie m’ont submergée une fois encore. Ah! Pourrai-je être un jour autre chose que la femme pécheresse?

Lui ne m’a pas reconnue... ou il a préféré m’ignorer... je ne saurais le dire.

J’allais partir en courant, fuir une fois de plus et me réfugier dans ma misère lorsque... lorsque j’ai croisé le regard de Jésus. Oh, j’en ai croisé des regards d’hommes: provocateurs, remplis de désir parfois, de dégoût souvent, de mépris toujours.

Mais son regard à lui était différent: j’avais l’impression qu’il voyait jusqu’au plus profond de moi, jusqu’au fond de mon désespoir, mais il n’a pas détourné les yeux comme les autres. Se pourrait-il que lui, il puisse me comprendre? Ce que ni mon père, ni Dieu lui-même n’ont jamais pu faire?

Je me suis approchée... et c’est là que j’ai remarqué. Ses pieds! Ils étaient sales, crasseux, couverts de la poussière de la route. Comment se faisait-il que Simon ait pu à ce point manquer de la politesse la plus élémentaire en ne donnant pas d’eau à Jésus pour se laver les pieds?

Tout à coup, j’ai réalisé: Jésus était à la dernière place du banquet. Lui aussi était un paria, un rejeté, un intrus qui dérange au milieu de ces convives respectables.

Tout à coup, j’ai réalisé: il était à la dernière place du banquet, celle où l’on met l’invité encombrant, celui qu’on veut spécialement vexer, ou dont on veut se moquer.

Lui aussi était un paria, un rejeté, un intrus qui dérange au milieu de ces convives respectables.

Oui, si quelqu’un pouvait me comprendre, c’était Jésus.

J’ai continué de m’approcher de lui, jusqu’à être tout près. Des larmes ont commencé à couler sur mes joues... pas des pleurs de désespoir, mais... comment dire? Comme si le trop-plein de mes malheurs et de ma misère débordait. Ou mieux: comme si la digue qui retenait toutes mes souffrances à l’intérieur de moi-même venait de se briser. Mes larmes coulaient, coulaient encore, ruisselant sur mes joues, mon menton et tombaient, goutte à goutte, sur les pieds de Jésus.

Au fur et à mesure que mes larmes continuaient à ruisseler, les pieds de Jésus étaient baignés, mouillés, détrempés même par mes pleurs. Et petit à petit, la saleté et la crasse s’écoulaient sur le sol.

Et à mesure que ses pieds étaient nettoyés par mes larmes, j’avais l’impression que le fond de mon être également, devenait de plus en plus propre.

Cela a duré longtemps... une éternité... des années de souffrances, d’abus, de désespoir qui s’écoulaient enfin librement.

Ensuite, j’ai dénoué mes cheveux et j’ai essuyé ses pieds. Je sais bien que c’est une folie et un scandale, que c’est le geste d’une épouse devant son époux... mais comprenez-moi: les beaux cheveux bouclés de la jolie petite fille sont oubliés depuis des années. Il devient même de plus en plus difficile de leur donner un peu d’éclat avec quelques gouttes d’huile. Et mes clients ne s’intéressent pas vraiment à me regarder dénouer mes cheveux; ils veulent autre chose, et ils le veulent tout de suite.

Finalement, j’ai sorti ma fiole de parfum et je l’ai brisée. Le col du vase d’albâtre a fait un petit « crac » en se cassant et j’ai déversé, lentement, tout le parfum sur les pieds de Jésus. Dire que, tant de fois, dans mon désespoir, j’avais voulu briser cette fiole au milieu des ordures...

Ses pieds étaient maintenant propres, secs et parfumés.

Sans même dire une parole, Jésus m’avait comprise mieux qu’aucun homme, mieux que mon père et même... mieux que Dieu lui-même.

Alors, j’ai embrassé ses pieds comme un signe de révérence ultime et un peu fou, je dois bien l'admettre.

Il me semblait qu’à l’intérieur de moi-même, quelque chose de la petite fille insouciante et joyeuse était revenu à la vie...

* * *

Et puis, je me suis arrêtée... je gardais mes yeux baissés sur les pieds de Jésus, baignés de l’odeur du parfum. Je sentais tous ces regards fixés sur moi: désapprobateurs, scandalisés, méprisants... ces regards qui m’enfermaient dans le rôle de la femme pécheresse. Ces regards de ceux qui, pourtant, sont pécheurs eux aussi... croyez-moi, je suis bien placée pour le savoir!

Enfin, Jésus a pris la parole. Il s’est adressé à Simon... et tous les regards se sont tournés vers lui. Ça m’a soulagée que le centre d’attention ne soit plus sur moi.

« Simon, a dit Jésus, j’ai quelque chose à te dire: Un créancier avait deux débiteurs: l’un d’eux lui devait 500 pièces d’argent, et l’autre 50. Comme ils n’avaient pas de quoi le rembourser, il leur remit à tous deux leur dette. Lequel des deux l’aimera le plus? »

Il m’a semblé que Simon, qui devait pourtant être habitué aux discussions entre rabbis, a hésité un instant avant de répondre: « Celui, je pense, auquel il a remis la plus grosse somme. »

Puis Jésus s’est tourné vers moi; et j’ai senti son regard posé sur moi... et j’ai senti en même temps que la petite fille en moi reprenait vie encore davantage.

Jésus a continué: « Tu vois cette femme? »

Il parlait de moi! Il me considérait comme une femme... dans sa bouche, je n’étais pas la femme pécheresse!

« Je suis entré dans ta maison et tu ne m’as pas donné d’eau pour me laver les pieds; mais elle, elle les a mouillés de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as pas donné de baiser; mais elle, depuis que je suis entré, elle n’a pas cessé de m’embrasser les pieds. Tu n’as pas versé d’huile sur ma tête; mais elle, elle a versé du parfum sur mes pieds. C’est pourquoi je te le dis, ses nombreux péchés ont été pardonnés, puisqu’elle a beaucoup aimé. Mais celui à qui l’on pardonne peu aime peu. »

C’était moi, cent fois moi, mille fois moi, ce portrait qu’il dressait en quelques mots. Oui! Oui! Mon âme était noire, accablée, misérable. Et là, soudain, ce Jésus qui sort de nulle part et qui semble me comprendre comme personne ne m’a jamais comprise, mieux que mon propre père lui-même.

Et qui, même s’il semble saisir et voir parfaitement la situation de ma vie, ne me rejette pas, ne m’accable pas du poids de son mépris, ne me considère pas comme la femme pécheresse. J’ai l’impression d’avoir reçu plus d’amour de sa part durant ces quelques instants que pendant tout le reste de ma vie.

Puis, comme pour confirmer encore ce que je ressentais au plus profond de moi-même, il a ajouté: « Tes péchés sont pardonnés. »

Évidemment, une telle affirmation a créé toute une confusion parmi ces religieux respectables: « Qui est cet homme, qui pardonne même les péchés? »

Je vais vous dire mon opinion, pour ce qu’elle vaut: à mon avis, ce Jésus est Dieu... rien de moins. Ce Dieu auquel j’ai crié en vain pendant tant d’années, que j’ai appelé durant mes nuits d’angoisse, auquel j’ai prié dans les ordures de la vallée du Hinnom... Ce Dieu qui comprend la victime, qui pardonne la noirceur et la misère du péché, ce Dieu qui défend le faible... Jésus en a toutes les caractéristiques. Il ne peut être que Dieu!

Il y avait tout à coup beaucoup de confusion chez Simon... tout le monde s’est levé pour partir en commentant ce qui s’était passé.

En quittant, Jésus m’a dit encore: « Ta foi t’a sauvée, pars dans la paix. »

Alors, je suis partie, la tête haute comme une femme pardonnée, aimée, respectée...

À l’intérieur de moi, la petite fille avait envie de chanter, de danser, de crier sa joie enfin retrouvée.